Vendre des travaux supplémentaires, quid ?

Toutes les entreprises du BTP le savent, la marge bénéficiaire ne peut être dégagée sur les attributions forfaitaires des appels d’offres de marchés (publics ou privées). La concurrence exacerbée, la diminution des budgets publics et les « interférences politiques », oblige à soumissionner à marge proche de zéro.

Pour autant, les entreprises du BTP bien qu’affichant une santé financière fragile, arrivent encore à survivre et à investir. Parmi d’autres raisons, le « miracle » porte un nom : travaux supplémentaires.

Travaux supplémentaires, une nécessité vitale pour l’entreprise

Les marchés concurrentiels du bâtiment (à appel d’offre) sont indispensables pour amener à l’entreprise la masse financière qui lui permettra de payer les salaires, charges et taxes, ainsi que les frais indispensables à son bon fonctionnement. Pour autant ils ne permettent pas de dégager la marge bénéficiaire qui, seule permet la croissance interne, par l’investissement, ou externe par l’acquisition. Le bénéfice réel ne peut venir que des travaux effectués sans concurrences, sur des marchés traités de gré à gré (essentiellement sur le secteur privé), ou sur les travaux dits supplémentaires qui peuvent être obtenus sur les marchés publics ou privés, déjà en cours.

Une attention particulière doit toutefois être portée au régime juridique des dits travaux supplémentaires, indispensable au bon achèvement du chantier. Bien que quelques rares cas de décisions favorables à l’entrepreneur puissent être avancées, les Tribunaux administratifs qui ont à traiter ce type de litiges, exigent soit un avenant au marché, soit à tout le moins une information honnête et complète quant aux raisons devant motiver ces travaux, suivit de l’accord écrit (ordre de service) du donneur d’ordre. De même doivent en être respectées les spécificités. Concernant les marchés privés (à appel d’offres ou de gré à gré), ils doivent aussi être motivés par la viabilité et le « bon achèvement de l’ouvrage », notions laissées à l’appréciation souveraine du juge du fond. Quoi qu’il en soit, l’entrepreneur doit informer par écrit le donneur d’ordre et si possible obtenir son accord écrit pour éviter tout litige.

Il existe une seconde catégorie de travaux, qui sans être véritablement indispensable, améliore grandement l’œuvre et doivent être suggérées dans un premier temps par le technicien de chantier. Celui-ci de par sa parole d’homme de l’art, assurant la crédibilité de l’offre. Cette dernière doit ensuite être mise en forme et adaptée aux besoins et moyens du client (donneur d’ordre) par le technico commercial. D’où, la nécessité d’un travail en étroite collaboration et en synergie entre les services (examinée plus en profondeur dans le prochain chapitre).

Exemples et vision des travaux supplémentaires.

  • Suite à un ensoleillement plus important que prévu sur une façade, il importe d’augmenter la qualité de l’isolation : épaisseur plus importante, filtre solaire sur les vitrages, « casquettes » rapportées sur les ouvertures, modification dans le dimensionnement de la climatisation (modèle plus puissant), etc.
  • Un ERP, tel qu’un centre commercial, possède son entrée principale face au parking. En face arrière, passe une ligne de bus avec un arrêt existant ou à venir. Il peut être intéressant de créer une seconde entrée sur cette face, qui aurait de plus l’avantage de fluidifier la circulation interne.
  • Dernier exemple : le DCE d’un ensemble immobilier prévoit la vidéosurveillance externe par caméras non blindées, avec du coaxial filaire apparent. Compte tenu des possibilités de neutralisation et de dégradation, il conviendrait de passer aux modèles blindés, avec liaisons enterrées (encastrées dans la maçonnerie) ou WiFi.

Une organisation, mais aussi un état d’esprit au sein de l’entreprise

Gérer une entreprise du bâtiment, ou plus généralement du BTP, implique de savoir aller chercher sa marge bénéficiaire* sur des niches où la concurrence n’impose pas de tirer les prix. Outre les petits marchés de gré à gré, cela passe par la systématisation de l’offre de travaux supplémentaires au donneur d’ordre. Pour cela le chef d’entreprise se doit de mettre en place une organisation assurant une synergie au sein de sa société. La plupart du temps, seul le personnel commercial d’une entreprise du bâtiment est sensibilisé à la vente de travaux supplémentaires. Or celui-ci n’intervient plus une fois le marché acquis et commencé.

C’est au personnel technique, qui dans la plupart des cas, n’a pas été formé pour cela, d’amorcer la vente des travaux supplémentaires. Il est par conséquent nécessaire de le sensibiliser, mais aussi de l’intéresser d’une manière qui peut être financière ou autre, pour qu’il acquière une motivation et un savoir-faire dans sa suggestion auprès du client.
Ne nous leurrons pas quant à l’intéressement. Celui-ci est indispensable. De même qu’il est la motivation principale des commerciaux de l’entreprise, il doit en être pareillement pour le technico commercial qui « apporte » du travail à marge positive. Il peut s’effectuer sur une base forfaitaire ou au pourcentage sur la marge réalisée.

* «… avec les dents » aurait dit un ancien Président français.

Les différentes possibilités pour vendre des travaux supplémentaires

S’il existe de nombreux impondérables, qui permettent d’engager des travaux supplémentaires sur le chantier d’un marché déjà attribué. Il existe aussi de multiples occasions, pour inciter la maîtrise d’ouvrage à améliorer l’œuvre en cours de réalisation.

Les travaux supplémentaires incontournables

Lorsqu’une entreprise se voit attribuer un marché, auquel elle a soumissionné sur la base du DCE, il arrive fréquemment qu’elle rencontre des difficultés quant à la réalisation.

Deux raisons peuvent en être la cause

Des erreurs dans les prévisions effectuées par le MOE (cabinet d’architecte ou BET). Ce peut être soit une sous-évaluation des quantités de matériaux, un sous-dimensionnement d’un lot (VMC, EP, EU, etc.), une erreur dans les plans d’exécution, … Dans ce cas de figure, l’entrepreneur est en droit de demander un réajustement du marché (par avenant) de gré à gré, sur son évaluation des besoins.

L’apparition d’impondérables non prévus au cahier des charges. L’exemple type est l’infiltration hydraulique, par remontées capillaires d’une nappe phréatique. Elle exigera un réaménagement de l’isolation des fondations. Dans le même ordre d’idées, une instabilité du sous-sol obligeant à descendre les fondations de plusieurs mètres supplémentaires.

Les travaux supplémentaires additionnels

Ils ont pour but d’améliorer la réalisation finale de l’œuvre. Ils touchent plusieurs domaines.

La sécurité, avec par exemple l’installation d’alarmes périmétriques ou volumétriques, la vidéosurveillance, l’installation de portes blindées

La réglementation à venir, qui peut être anticipée, pour éviter au client de nouveaux travaux après achèvement. Pour cela il convient pour l’entreprise du BTP, d’assurer une veille législative et réglementaire Française et de l’UE.

Le confort, avec par exemple l’installation d’un second escalier métallique, à l’opposé du premier sur une mezzanine. Ce peut être aussi la mise en place de portes automatiques plus généralisées, pour faciliter l’accès des handicapés. Ou la création d’auvent sur les places de parking d’un immeuble, en zone à forte pluviosité.

La décoration intérieure, qui peut aller de l’installation d’une simple moquette, à l’utilisation de céramiques à décors dans les sanitaires. De même pour les faux-plafonds qui peuvent être tendus ou suspendus.

La signalétique, qui offre de multiples possibilités d’amélioration, avec par exemple l’installation d’écrans tactiles interactifs à chaque sortie d’ascenseur, pour indiquer les différents services, voir annoncer l’arrivée du visiteur.

Enfin, la décoration et la végétalisation sont souvent le parent pauvre des marchés et ne sont bien souvent pas intégrées à ceux-ci mais remis à plus tard. Elle peut donc constituer une opportunité de vendre des travaux supplémentaires, dans le cadre d’une augmentation de l’attractivité des lieux (centre commercial, logements, etc.).

Au vu de ce qui précède, l’on constatera qu’il est relativement aisé de vendre des travaux supplémentaires sur un marché déjà conclu, qu’il soit privé ou public. Pour autant, faut-il que la volonté existe au niveau du personnel technique de terrain, qui rappelons-le, reste pratiquement le seul interlocuteur du client, une fois le marché attribué.

L’importance d’une remontée d’information terrain

Celle-ci, en permettant de mettre en œuvre l’offre de travaux supplémentaires conditionne la sécurisation de la marge de l’entreprise. Et par là-même, n’ayons pas peur des mots, sa survie. Malheureusement plusieurs freins viennent en limiter la portée.

  • Le technicien de chantier est un travailleur, auquel est laissée une très grande marge d’autonomie dans l’exercice de son art. Aussi, n’est-il pas évident pour lui, de faire remonter les informations qu’il est amené à recevoir, lors de réunions de chantier ou plus prosaïquement lors de déjeuners avec les représentants du maitre d’ouvrage ou du MOE. C’est pourtant bien là, l’occasion qui permettra d’acquérir des informations qui ouvriront la voie, pour vendre des travaux supplémentaires. Rencontres informelles, où la convivialité aidant, des liens utiles peuvent se former, pour suggérer et influencer une décision. Encore faut-il, comme évoqué précédemment, qu’il y ait de la part du technico commercial, la motivation et l’acquisition d’un certain nombre de réflexes pour cela.
  • Dans toutes entreprises, il existe peu ou prou un certain esprit de chapelle, entre les personnels techniques et ceux du service commercial. Cela entraine souvent une dévalorisation des informations fournies par les premiers. Cet état d’esprit doit être combattu, car il génère une perte importante, dans le potentiel des travaux à fortes marges.

Pour conclure… provisoirement, espérons-le !

Le secteur d’activité économique du bâtiment est, à l’heure actuelle, fortement tributaire des possibilités de financement public d’une part et privé, par l’intermédiaire des banques, d’autre part. Dans les deux cas les cordons de la bourse ont tendance à se resserrer de plus en plus.

Aussi les entreprises margent-elles à minima, sur les appels d’offres concurrentiels. Cette situation est dangereuse, car elle fragilise le cash flow de l’entreprise. Le seul moyen d’éviter cela, est de se positionner sur les niches et sur les travaux supplémentaires en attendant une future et hypothétique embellie de l’économie.